001 - Erwan&Sydney - Retour à la maison

Depuis le moment de la descente de l’avion, Erwan sentit une chape de plomb se poser sur ses épaules. La période de trêve était finie, il retournait chez lui, dans sa maison, où il y avait aussi sa femme. Ces trois semaines de voyage professionnel avaient été une véritable bouffée d’air frais et de repos, durant lesquelles il n’avait pas vu le malheur et la haine sur le visage de celle qui avait été sa seule amie. Il devait organiser la nouvelle rentrée littéraire de Janvier et tout était fin prêt : auteurs, imprimeurs, libraires, publicité.

Durant tout le trajet en voiture, petit à petit, son estomac s’était asséché, et sa bouche avec. La culpabilité revenait au galop et il savait déjà comment il serait accueilli. Il donnerait son royaume pour obtenir un « bienvenue à la maison ! » enjoué de quelqu’un. Il devrait peut-être engager un majordome... Il serait au moins toujours content de le voir. Ou du moins ce serait une clause du contrat : « soyez toujours heureux du retour de votre patron ».

Lorsqu’il se gara dans son allée devant la porte, il constata que la voiture de sa femme était là. Cela signifiait qu’elle se trouvait dans les parages. Il resta quelques instants sur son siège, front collé au volant. Il était déjà angoissé à l’idée de l’affronter. Il savait qu’il méritait sa haine, il voulait lui dire pourquoi il refusait, mais il ne parvenait pas à faire sortir les mots de sa bouche. La seule fois où il avait voulu être égoïste lui retournait en plein dans la figure.

*Allez, Erwan, t’es un homme ! Bouge ! Rentre chez toi !*

Il descendit alors de voiture et récupéra sa petite valise dans son coffre. Tout le long de son trajet vers la porte d’entrée, il se sentit comme un homme marchant vers le peloton d’exécution. Il chercha les clés dans sa poche puis les tourna lentement dans la serrure. Aucune catastrophe naturelle ne l’en empêcha, même pas l’arrivée impromptue d’un facteur.

*Bon, si même le destin se met à m’encourager, c’est qu’il faut y aller. De toute façon, il faudra que je lui parle à un moment donné.*

En effet, son père avait requis la présence du jeune couple pour une énième réception, qui réunirait tous les auteurs phares de Nelson Fathers and Sons, afin de fêter la prochaine rentrée littéraire. Il s’agissait surtout de renouveler les fidélités des auteurs afin de les inciter à publier chez eux au prochain roman. Et des écrivains en quête d’éditeurs s’incrusteraient. En clair, la présence de Sydney n’était demandée qu’en l’honneur de sa beauté et du cachet que donnerait sa présence dans la pièce.

Il aurait tellement voulu que ça marche entre eux deux... Il croyait encore au mariage et à la fidélité à l’époque. Ils avaient essayé d'être ensemble, que ça marche... Mais il fallait se rendre à l'évidence, Erwan n'était pas celui que sa femme voulait. Il était tout juste un homme, un simulacre même. Elle le connaissait par cœur, elle avait grandi pratiquement avec lui ! Ils avaient partagés trop de moments pour qu'elle ne connaisse pas son fonctionnement. Et elle savait qu'il n'était que la marionnette de son père et qu'elle ne pouvait plus rien tirer de lui. Alors il avait baissé les bras.

Erwan espéra malgré tout que sa femme soit sous la douche, dans sa chambre, dans le jardin, n'importe où, pourvu qu'il ne la croise pas. Dans une aussi grande maison, c'était parfaitement possible ! Il se dirigea vers la cuisine en premier lieu, voulant boire un verre d'eau plus grand que sa baignoire, puis manger un bout. Traînant sa valise derrière lui, il ouvrit le frigo et attrapa une petite bouteille d'eau pleine. Et il but à grandes gorgées.

Malheureusement, encore une fois, le destin ne lui donna pas sa chance de la fuir.

Comment dire que ces derniers jours s'apparente à des vacances ? Enfin presque. Si Josh n'avait pas décidé de mettre fin à notre histoire ça aurait été tout simplement parfait. Mais à cause de ça, cela fait une semaine que je n'ai pas quitté la villa. Apparemment ça s'appelle de la dépression. A un moment je pleure toutes les larmes de mon corps puis à un autre j'ai des envies de meurtre et je fais passer ma colère sur ce qui me tombe sous la main. J'avais déjà envie de divorcer, mais à présent je serai prête à tuer pour obtenir ce que je veux. Lorsque j'entends la porte d'entrée s'ouvrir puis se refermer, je soupire. La tranquillité est terminée, le voilà déjà rentré de son voyage d'affaire. Je sais qu'il va chercher à m'éviter et habituellement c'est ce que j'aurai également fait. Mais mon humeur en a décidé autrement et c'est pourquoi je le rejoins directement à la cuisine.

« Je suis déçue de voir que ton avion ne s'est pas écrasé. »

Je m'appuie contre le cadran de la porte, les bras croisés sur ma poitrine. Je l'observe avec dégoût. Comment en sommes-nous arrivé là ? Auparavant, nous étions proches, comme un frère et une soeur. Mais aujourd'hui, nous sommes l'oeuvre de nos parents. On aurait pu vivre autrement, ne pas être marié, avoir chacun quelqu'un qu'on aime et qu'on chérie sauf qu'il n'y a que moi qui ai cherché à me rebeller. Depuis, mon regard sur lui a changé et je le haie. Si aujourd'hui Josh ne veut plus de moi, c'est également de sa faute et ça, c'est quelque chose que j'aurai beaucoup de mal à pardonner, si pardon il y a un jour.

Ces paroles, prononcées dans son dos par sa Némésis, lui traversèrent le coeur. Une nouvelle preuve de haine, mais cette fois-ci parfaitement gratuite. Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas confrontés. D'habitude, ils s'évitaient ou alors s'ils se croisaient, ils se contentaient de se regarder. Erwan décida alors de se retourner, afin de voir le visage de sa femme. Il fut surpris de constater qu'elle n'était pas aussi... fraîche que d'habitude. Certes, c'est toujours le même regard de haine, la même position défensive avec les bras croisés mais... On aurait dit qu'elle n'avait pas vu la couleur du soleil depuis un moment, elle était très pâle. De plus, ses yeux étaient encore un peu injectés de sang.

" Moi aussi, j'en suis désolé. "

La phrase était sortie toute seule de sa bouche, Erwan n'avait rien pu faire. Mais il était fatigué, angoissé et au bout d'un moment, Erwan le réprimé voulait sortir et s'exprimer un peu. Cependant, il se sentait honteux à nouveau de la voir dans un tel état. Elle avait l'air encore plus déprimée que d'habitude. Alors, il voulut la consoler un peu, sans trop le montrer.

" Je t'aurais bien demandé pourquoi tu es dans cet état, mais je t'entends déjà me dire que ce ne sont pas mes affaires, que je ne suis qu'un connard et que tu me hais."

Erwan reposa sa bouteille d'eau sur le plan de travail, poussa sa valise dans un coin puis sortit des ustensiles de cuisine. Il n'était pas un grand cuisinier mais il était capable de faire tout de même des choses mangeables. Après tout, il n'était pas porté sur la présence d'employés de maison, excepté pour le ménage quand il n'était pas là.

Il eut une petite idée pour faire en sorte que Sydney reste dans la cuisine avec lui. Il fouilla le congélateur, en sortit une petite glace Häägen Dasz avec une cuillère récupérée dans un tiroir. Il posa tout ça devant elle. Erwan se tourna alors vers les plaques chauffantes, en alluma une et lança de l'eau à bouillir.

" Je vais faire des spaghettis à la bolognese, ça devrait te faire plaisir. Pour une fois, on pourrait au moins manger ensemble, qu'en dis-tu ? "

Il sortit divers ingrédients qu'il savait être toujours dans le coin, après tout, Sydney aimait ça et en mangerait à toute heure de la journée. Ne la voyant toujours pas bouger, il se lança dans sa séance de découpage de champignons, oignons, céleri... Pour ensuite préparer la poele afin de faire cuire avec de la viande hachée puis mijoter dans du jus de tomate.

" Par ailleurs, nos présences sont requises pour une réception demain soir. Seras-tu disponible ? "

Quelque part, il avait toujours l'espoir qu'elle dise non, je vais ailleurs ou encore non, j'ai pas envie. Mais il savait pertinemment qu'elle n'avait jamais refusé lorsque le Couple Nelson était convoqué pour faire bonne figure. Dans ces moments-là, il admirait Sydney d'être capable de passer outre sa haine pour sauver ses fesses. Bien qu'il se soit toujours demandé pourquoi elle ne fuyait pas. Avait-elle encore si peur de sa mère ?

Je le regarde s'activer en cuisine sans partir de mon coin, déçue que ma remarque n'ait pas eu plus d'impact que ça. Quand son regard croise le mien, il semble avoir pitié de me voir dans l'état que je suis. Il me dit qu'il aurait bien envie de me demander pourquoi je suis dans cet état, mais il s'attend déjà à ma réponse et j'ai bien envie de le contredire.

« Et si je te disais que c'est à cause de toi ? Notre mariage est en train de me tuer à petit feu. Oh, mais évidemment tu t'en moques complètement. » Lâchais-je sèchement.

Je l'observe ouvrir le congélateur et en ressortir de la glace, mon parfum préféré. Même si j'en ai pas mal abusé ces derniers jours, je l'attrape ainsi que la petite cuillère et commence à m'empiffrer. Il m'annonce qu'il prépare des pâtes à la bolognaise, mon plat préféré et me propose de manger ensemble. Je n'ai pas tellement faim et l'idée de manger face à lui me file la nausée. Mais je hausse simplement les épaules, trop occupée à avaler de la glace. Je l'observe cuisiner depuis l'entrée de la cuisine. C'est alors qu'il me parle d'un événement auquel nous sommes invités et qui aura lieux demain soir. Habituellement j'aurai dit oui et je me serais préparé à prendre mon rôle de femme heureuse et amoureuse. Mais voilà, je ne suis pas dans mon état habituel et après les récents événements, j'en ai plus qu'assez de jouer un rôle.

« C'est pour ça alors toutes ces petites attentions ? La glace, les pâtes à la bolognaise ? Tout ça pour m'amadouer, que je sois plus calme et que j'accepte ta petite requête. Et bien c'est non. »

Je m'avance et pose brusquement le pot de glace sur l'îlot central.

En la voyant manger la glace, Erwan eut la confirmation que quelque chose n'allait pas. Et quand elle l'accusa de se moquer carrément du fait que leur mariage la tuait à petit feu, il comprit que son amant était probablement la cause de son mal-être actuel. Mais il ne dit rien. Il continua à cuisiner, faisant route avec ses propres remords. Après tout, si sa femme était toujours là, c'était qu'elle avait malgré tout peut-être besoin de compagnie.

Après lui avoir parlé de la réception, il l'entendit répondre :

« C'est pour ça alors toutes ces petites attentions ? La glace, les pâtes à la bolognaise ? Tout ça pour m'amadouer, que je sois plus calme et que j'accepte ta petite requête. Et bien c'est non. »

Il faillit faire déraper le couteau sur sa main après l'avoir entendu l'accuser de l'amadouer. Il n'était pas comme ça, il n'avait jamais été comme ça avant leur mariage. Il était un type bien, avec ses faiblesses ! Mais il n'avait jamais acheté l'amitié de celle qui était devenue cette femme, cette créature aigrie - par sa faute. Néanmoins, il garda son calme et rétorqua simplement :

"Tant pis si tu ne viens pas. Je m'en occuperai seul. Je dirai que tu es malade, ça te va ?"

Au moins, à cette soirée-là, il pourra faire semblant d'être toujours célibataire, sans mariage arrangé sur le dos, sans chantage de son père. Il pourra travailler sans avoir à subir les petites attaques mesquines de Sydney - "Oh, vous savez, il est tellement tête en l'air ! Il oublie même parfois qu'il a une femme à ses côtés !" ou alors "Oh, chéri, qu'est-ce que tu es nul, aucun goût vestimentaire". Il riait et tentait de garder la face, mais en public, elle aimait beaucoup se moquer de lui - sous couvert de l'amour et de la taquinerie bien sûr. Il savait bien qu'on se moquait de lui dans le cercle d'amis de son père. Cela l'énervait, mais au final, il faisait avec.

"Tu veux toujours manger ce que je prépare ? Ce n'était pas vraiment pour t'acheter, en réalité. Quoi que tu en penses."

Il était vraiment curieux, notre Erwan. Il savait que s'il posait la question, il y avait deux possibilités : soit elle se refermait comme une huître et partait, soit elle allait lui claquer à la gueule le sujet - ou les sujets - de ses malheurs. Josh donc. Il n'avait encore jamais reconnu devant sa femme qu'il savait qu'elle le voyait. Il savait mais il ne voulait pas montrer cela car elle pourrait le narguer, voire en profiter pour être infidèle au grand jour. Rien que pour le provoquer.

Cependant, il connaissait le caractère entier de Sydney. Et c’était son amie, avant. Alors il parla.

« Je suis au courant que tu revoies Josh depuis un an, environ, je pense. Je m’inquiète, j’ai l’impression que ça a claqué entre vous deux. Tout va bien ? »

Il sentait venir la grosse confrontation. Mais quelque part, ce n’était pas plus mal : elle se défoulerait et ça sortirait plus vite. Lui aussi le mariage lui pesait de plus en plus. Il avait honte de faire subir tout ça à Sydney, il voulait des enfants mais ne pourrait pas en avoir avec elle, pas dans ce simulacre de relation foutu en l’air. Non, c’était foutu, autant le reconnaître.

En vérité, il n’attendait qu’une seule chose, un détail, un scandale, qui lui permettrait de sortir blanchi de ce mariage, sans que son père ne le déshérite et sans que William puisse mettre sa menace à exécution. En effet, trois semaines plus tôt il avait menacé Erwan de lui prendre tout - et surtout la maison d'édition - dans le divorce si jamais il le demandait.

Son unique espoir résidait donc en une demande de divorce faite par Sydney ! Si elle le faisait, Erwan pourrait ensuite dire à William "ce n'est pas moi, c'est elle"! Peut être qu'ainsi il ne mettrait pas la menace à exécution...

Je me sentais prisonnière de mon mariage. J'avais ma bouffé d'air frais du nom de Josh, mais s'en était terminé. Depuis je ne suis qu'une loque et c'est pire depuis la révélation de ma grossesse. Ma vie n'était déjà pas simple, mais cela allait compliquer encore plus les choses. Je profitais néanmoins de ma solitude qui dans un sens me faisais du bien. Mais j'entendis la porte claquer ce qui signifiait que le repos était terminé. Je rejoignis mon époux dans la cuisine, il avait décidé de préparer des pâtes à la bolognaise. Ce n'est pas son genre d'avoir de petite attention à mon égard alors quand il m'annonce que l'on est invité à une réception, je refuse et l'accuse d'essayer de m'acheter.

« Dis ce que tu veux, ce n'est pas mon soucis. »

Après tout ce ne serait pas un si gros mensonge puisque ma grossesse me rend bel et bien malade. Il parait que cela arrive souvent les premiers mois. Il me demande ensuite si je compte toujours manger son repas, car ce n'était pas dans le but de m'amadouer.

« Je ne sais pas. Tu comptes m'empoisonner ? »

Je le fusille du regard. Je manque finalement de m'étouffer avec ma salive lorsqu'il aborde un tout nouveau sujet : Josh. Un sujet bien sensible surtout en ce moment.

« T'es au courant super, mais ces choses-là ne te regarde pas. Je vais ce que je veux de mon cul. »

Techniquement ça le regarde un peu puisque je suis sa femme, mais je n'ai pas envie de parler de ça et encore moins avec lui.

« Dis ce que tu veux, ce n'est pas mon souci.
_Dans ce cas, je ne t’inviterai plus pendant un petit moment. Ca te fera une période de repos. Pour te remettre de.. Quoi que tu aies en fait. »

Erwan éteignit le feu. Pratiquement tout était prêt et il n’avait plus qu’à servir. Il sortit donc des assiettes qu’il disposa sur le bar de la cuisine, l’un en face de l’autre. Elle répond alors à sa question, si elle compte manger avec lui. Histoire qu’il ne salisse pas la vaisselle pour rien.

« Je ne sais pas. Tu comptes m'empoisonner ? »

Il préféra ne même pas répondre. C’était complètement idiot, comme si c’était son genre de tuer quelqu’un. Même sa femme qui le hait. Il réprima un rire, il se sentait comme dans un soap movie de mauvaise qualité. Mais il ne put s’empêcher de glousser en la voyant mal avaler sa salive quand il parla de Josh. C’était toujours un plaisir que de se sentir comme celui qui surprenait l’autre.

« T'es au courant super, mais ces choses-là ne te regarde pas. Je vais ce que je veux de mon cul.
_Tu es bien agressive, dis-moi. Théoriquement, néanmoins, ça me regarde... Même si finalement, je ne te jetterai pas la première pierre. »

Elle était bien trop agressive pour qu’elle soit réellement innocente. Il était sûrement la raison pour laquelle elle était si mal. Et si elle était si mal, il ne voyait qu’une chose : c’était fini entre eux. Merde. C’était sa principale motivation pour divorcer, au-delà du fait qu’ils avaient été forcés de faire une chose qu’ils ne voulaient pas.

Bordel, William avait vraiment merdé. Son chantage de merde venait vraiment mettre le holà à toute vélléité de divorcer. Du moins, de son côté. Alors, il disposa l’assiette de spaghettis devant Sydney, gouta un bout dans sa propre assiette pour la rassurer, puis s’installa. Lui, il mangea : il avait faim et son estomac était vide depuis au moins la veille. Pas la grande forme. Puis, il décida de la provoquer, à nouveau, voir ce que ça donnait.

« Donc, si je comprends bien, c’est fini entre toi et Josh. Que s’est-il passé ? Tu ne l’aimes plus ? Ou il en avait assez d’être l’amant ? Ce ne devait pas être drôle. »

Il continua à manger, presque innocement, s’attendant presque à recevoir une assiette à la figure. Il serait drôle que le motif du divorce soit finalement parce qu’il était battu par sa femme... Non, il réprima son rire, ce n’était pas le moment de mettre de l’huile sur le feu. Même si ce serait amusant qu’elle refasse une demande de divorce – qu’il serait obligé de refuser, comme d’habitude.

Il suggéra qu'il ne m'inviterait plus durant un moment et il ne se rend pas compte du cadeau qu'il me faisait.

« Tu as raison. Il va me falloir au moins 9 mois. » Lâchais-je.

De toute manière il aurait bien fini par le savoir, ce n'est pas comme si j'étais énorme, dès que je prends 1kg ça se voit directement. Je ne savais pas trop quel allait être sa réaction, parce qu'il ne faisait aucun doute que ce n'était pas lui le père. Je m'installai de mon côté de l'îlot centrale de la cuisine, parce que malgré tout j'avais quand même faim. Le fait qu'il sache pour Josh était un soulagement, ça m'éviterait d'autres cachotteries, enfin s'il y en avait à venir, ce qui ne risquerait plus d'arriver puisqu'il m'avait quitté peu avant que je n'apprenne pour ma grossesse. Je préférais ignorer ses paroles et manger en silence. Mais ses paroles à propos de Josh étaient déplacées et comme je suis un peu à fleur de peau en ce moment les paroles sortaient toute seule d'entre mes lèvres.

« Ferme-la Erwan. Il n'aurait pas besoin de souffrir de la situation si ce mariage n'avait pas eu lieu. Peut-être que je serai mariée avec lui et peut-être aurions-nous déjà un enfant. Mais à la place, je suis enceinte, au cas où tu ne l'aurais pas compris et je vais devoir l'élever sans son père. Et tout ça… A cause de toi ! »

Je lâchais mes couverts et quittait la pièce avant que je ne pique une violente crise, me rendant dans le salon.

« Tu as raison. Il va me falloir au moins 9 mois. »

Erwan ne tilta pas tout de suite. Le temps que cette phrase fasse tout le chemin entre ses oreilles et son cerveau, il avait déjà parlé... Mais cela faisait son bonhomme de chemin. Neuf mois ? Pourquoi neuf mois ? De quoi pouvait-elle bien souffrir pour que ce soit aussi long ? Neuf mois ?

« Ferme-la Erwan. Il n'aurait pas besoin de souffrir de la situation si ce mariage n'avait pas eu lieu. Peut-être que je serai mariée avec lui et peut-être aurions-nous déjà un enfant. Mais à la place, je suis enceinte, au cas où tu ne l'aurais pas compris et je vais devoir l'élever sans son père. Et tout ça… A cause de toi ! »

Erwan aurait voulu répondre. Plusieurs heures plus tard, quand il y repensera, il se dira "mais si, j'aurais dû dire ça !", mais de toute façon, tout sera toujours mieux que ce qui allait suivre. Neuf mois, enceinte, de Josh, séparée, seule, à cause de lui. De lui ? Mais qu'avait-il fait ?! Rien, c'était elle qui était allée baiser partout ! C'était elle qui avait le feu au cul et qui était allée sauter son mec ! Et surtout, c'était eux, ces deux abrutis, qui ne s'étaient pas protégés, comme s'ils cherchaient les emmerdes !

"Comment peux-tu rejeter la faute sur moi, Sydney ?!"

Erwan avait rugi de rage en la voyant s'en aller, se réfugier dans le salon. Il devenait fou, complètement fou, jamais il n'aurait imaginé que la situation s'envenimerait comme ça. Elle était enceinte, et d'un autre ! Il la suivit en marmonant dans sa barbe, ne parvenant pas à retenir toute sa colère, et en ne parvenant pas non plus à la faire sortir. Il avait l'impression que tout allait exploser, imploser, d'ici peu.

"Sydney, tu ne peux pas être enceinte !! Pas maintenant, merde ! La contraception, tu connais, putain, tu vis dans un monde moderne, t'as les moyens de te payer des capotes !!!"

Erwan attrappa le bras de Sydney, prêt à lui distribuer des mandales, quand il repensa à William, son bea-frère, quelques semaines plus tôt. Oh, non, ça ne pouvait pas plus mal tomber. Il allait devoir supporter de vivre marié à une femme qui le détesterait plus que jamais, devoir élever un enfant qui n'était pas le sien, qu'il ne pourrait probablement jamais approcher. Son rêve d'avoir un jour une famille, un enfant, une vie paisible, un métro boulot dodo façon Triangle Platinum, tout ça s'écroulait pour de bon.

Il lâcha alors Sydney, et s'effondra sur le canapé. Ce meme canapé où, trois semaines plus tôt, il s'était écroulé. Et il pleura, à nouveau, dans la même position. Tout recommençait, à nouveau. Et il allait devoir composer avec deux camps opposés, un rêve détruit où finalement, tout ce qui lui importait lui serait refusé.

Il marmonnait à nouveau "non, non, non, non, non, non, non", entrecoupés de "je ne peux plus". C'était trop, il devenait fou, ç'en était fini de lui. Mort pour sa patrie, sacrifié sur l'autel de l'amour. Il ne sera plus qu'une vache à lait dans une formidable supercherie ou alors un homme foutu, sans travail, sans argent, sans rien. Finalement, est-ce que cela valait vraiment le coup qu'il perde toute sa dignité pour... une entreprise ?

Alors, il se ressaisit, se releva, et parla de la voix la plus calme possible, bien qu'entrecoupée de rage contenue.

"Je ne veux plus te voir. Je ne te forcerai pas à venir à ces soirées, même je t'interdis d'y venir. Ça t'arrange, n'est-ce pas ? Moi aussi, je n'aurai plus à supporter ta haine mal placée. Sache que tu es autant fautive que moi dans cette histoire. Moi, j'ai été forcé de me marier, si je refusais, je perdais tout, mais toi ? Qu'a-t-on pu faire pour te forcer à le faire ? Ne me dis pas que c'est l'argent, tu n'en as pas besoin. Ni même pour plaire à tes parents, t'en as rien à foutre. Médite là dessus au lieu d'accuser les autres de ton malheur. Sache te regarder dans une glace et vérifier si tu n'y es vraiment pour rien."

Puis, il se dirigea vers sa propre chambre, bien décidé cette fois-ci à faire comme chez lui, car c'était chez lui. Il avait acheté lui-même sa maison, sur son propre salaire, qu'il avait gagné à la sueur de son front. Il avait payé tous les meubles qui se trouvaient dans cette baraque, jusqu'au matela sur lequel sa pute de femme avait peut-être même baisé avec son connard.

Alors il allait se coucher dans son lit. Et essayer d'oublier.

Je me doutais bien qu'il allait s'énerver, mais certainement pas à ce point-là. Après tout s'il était au courant pour Josh, il aurait dû se douter qu'une merde de ce genre allait lui tomber sur le coin du nez. Il me fit alors la leçon sur la contraception.

« Tu vis dans quel monde toi ? Tu sais très bien qu'une capote ce n'est pas toujours fiable à 100%. Si tu crois que c'était prémédité de faire un enfant dans ton dos, détrompe-toi, moi aussi je suis encore sous le choc, car ça ne faisait pas du tout partis de mes plans surtout depuis que Josh m'a quitté. »

S'il voulait hausser le ton moi aussi je pouvais le faire. Il attrapa alors mon bras et avec la rage qu'on pouvait lire dans son regard, j'ai bien cru qu'il allait lever la main sur moi, pendant l'espace de quelques secondes, j'ai eu peur, mais il me lâcha et se laissa tomber sur le canapé. Le voilà qui pleurait. Je levais les yeux au ciel, avant d'essayer de comprendre ce qu'il marmonnait. Quand il se fut ressaisit, les paroles qu'il m'adressa était blessante, que j'en avais les larmes aux yeux. Devant Erwan j'ai toujours su rester forte, la seule fois où j'ai craqué c'était le jour de notre mariage, après ça je me suis refusée de lui montrer toute sorte de faiblesse. Mais là, une larme roula sur ma joue, parce qu'il avait raison et ça faisait mal de l'admettre. J'aurai pu tout arrêter si j'en avais envie, je n'avais rien à perdre puisque je m'en foutais de tout, mais j'avais peur de ma mère alors j'ai préféré perdre Josh et une vie paisible.

« Tu ne peux pas me mettre dehors, je suis chez moi aussi… »

J'essayais de m'en convaincre même si je savais que je n'avais jamais mis un centime entre ces murs, alors techniquement j'étais chez Erwan et non chez nous. Il était quand même culotté de me demander de partir alors que j'étais enceinte et que je n'avais nulle part où aller puisque ces deux dernières années ma maison c'était ici. Je le voyais alors monter vers les chambres à l'étage, l'air indifférent.

« Je passerai prendre mes affaires demain… »

Sur ces mots je quittais la villa sans savoir où me rendre, les yeux humides de mes larmes.